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Il ne me suffit pas de lire que les sables des plages sont doux ; je veux que mes pieds nus le sentent. Toute connaissance que n’a pas précédé une sensation m’est inutile.

Je n’ai jamais rien vu de doucement beau dans ce monde, sans désirer aussitôt que toute ma tendresse le touche. Amoureuse beauté de la terre, l’effloraison de ta surface est merveilleuse ! — Ô paysage où mon désir s’est enfoncé ! Pays ouvert où ma recherche se promène ; — allée de papyrus qui se referme sur de l’eau ; roseaux courbés sur la rivière ; ouvertures des clairières ; apparition de la plaine dans l’embrasure des branchages, de la promesse illimitée. Je me suis promené dans les couloirs de roches ou de plantes. J’ai vu se dérouler des printemps. — volubilité des phénomènes.

Dès ce jour, chaque instant de ma vie prit pour moi la saveur de nouveauté d’un don absolument ineffable. Ainsi je vécus dans une presque perpétuelle stupéfaction passionnée. J’arrivais très vite à l’ivresse et me plus à marcher dans une sorte d’étourdissement.