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— Les premiers temps de douteuse extase passés — mais avant d’avoir rencontré Ménalque — ce fut une période inquiète d’attente et comme une traversée de marais. Je sombrais en des accablements de sommeil dont dormir ne me guérissait pas. Je me couchais après les repas ; je dormais, je me réveillais plus las encore, l’esprit engourdi comme pour une métamorphose.

Obscures opérations de l’être, — travail latent, genèses d’inconnu, parturitions laborieuses — somnolences, attentes ; — commue les chrysalides et les nymphes, je dormais ; je laissais se former en moi le nouvel être, que je serais, qui ne me ressemblait déjà plus. Toute lumière me parvenait comme au travers de couches d’eaux verdies, à travers feuilles et ramures ; perceptions confuses, indolentes, analogues à celles des ivresses et des grands étourdissements. — Ah ! que vienne enfin, suppliais-je, la crise aiguë, la maladie, la douleur vive ! — Et mon cerveau se comparait aux ciels d’orage, de nuages pesants encombrés, où l’on respire à peine, où tout attend l’éclair pour déchirer ces outres fuligineuses, pleines d’humeur et cachant le ciel.

Combien durerez-vous, attentes ? et finies,