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…… (Je ne peux écrire aujourd’hui parce qu’une roue tourne en la grange. Hier je l’ai vue ; elle battait du colza.

La balle s’envolait ; le grain roulait à terre.

La poussière faisait suffoquer.

Une femme tournait la meule. Deux beaux garçons, pieds nus, récoltaient le grain.

Je pleure parce que je n’ai rien de plus à dire.

Je sais qu’on ne commence pas à écrire quand on n’a rien de plus à dire que ça. Mais j’ai pourtant écrit encore d’autres choses sur le même sujet.)

Nathanaël, j’aimerais te donner une joie que ne t’aurait donnée encore aucun autre. Je ne sais comment te la donner, et pourtant, cette joie, je la possède. — Je voudrais m’adresser à toi plus intimement que ne l’a fait encore aucun autre. Je voudrais arriver à cette heure de nuit où tu auras successivement ouvert puis fermé bien des livres — cherchant dans chacun plus qu’il ne t’avait encore révélé ; où tu attends encore ; où ta ferveur va devenir tristesse, de ne pas se sentir soutenue. Je n’écris que pour toi ; je ne t’écris que pour ces heures. Je voudrais écrire tel livre d’où toute pensée, toute émotion personnelle te