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ouverts et les troupeaux jamais rassasiés bêlent toujours après de nouvelles pâtures.)

Nathanaël, parfois me retinrent d’étranges demeures. Il y en eut au milieu des forêts ; il y en eut au bord des eaux ; il y en eut de spacieuses. — Mais sitôt que, par l’habitude, je cessais de les remarquer, que je n’étais plus étonné d’elles, requis par l’offre des fenêtres, et que j’allais commencer à penser, je les quittais.

(Je ne peux t’expliquer, Nathanaël, ce désir exaspéré de nouveauté ; il ne me semblait point effleurer, déflorer aucune chose ; mais ma subite sensation était du premier coup si intense qu’elle ne s’augmentait ensuite par aucune répétition ; de sorte que s’il m’arriva souvent de retourner aux mêmes villes, aux mêmes lieux, c’était pour y sentir un changement de jour ou de saisons, plus sensible en des lignes connues — et si, lorsque je vivais à Alger, je passais chaque fin de jour dans le même petit café maure, c’était pour percevoir l’imperceptible changement, d’un soir à l’autre, de chaque être, pour regarder le temps modifier, mais lentement, un même tout petit espace.)