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— Je me souviens de ces myrtilles des montagnes que je cueillis un jour de grand froid dans la neige…

— Je n’aime pas la neige, dit Lothaire ; c’est une matière toute mystique et qui n’a pas encore pris son parti de la terre. Je hais son insolite blancheur où s’arrête le paysage. Elle est froide et se refuse à la vie ; je sais qu’elle la couve et la protège, mais la vie n’en surnaît qu’en la fondant. Ainsi je la veux, grise et sale, à demi fondue et déjà presque en eau pour les plantes.

— N’en parle pas — la neige aussi peut être belle, dit Ulrich. — Elle n’est triste et douloureuse que là où trop d’amour la fera fondre ; et toi qui préfères l’amour, la préfères à demi fondue. Elle est belle où elle triomphe.

— Là nous n’irons pas, dit Hylas — et où je dis : tant mieux, tu n’as pas à dire : tant pis.