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Mais des fruits — des fruits — Nathanaël, que dirai-je ?

— Ô ! que tu ne les aies pas connus,
Nathanaël, c’est bien là ce qui me désespère…
… Leur pulpe était délicate et juteuse
Savoureuse comme la chair qui saigne,
Rouge comme le sang qui sort d’une blessure.
… Ceux-ci ne réclamaient, Nathanaël, aucune soif particulière ;
On les servait dans des corbeilles d’or ;
Leur goût écœurait tout d’abord, étant d’une fadeur incomparable ;
Il n’évoquait celui d’aucun fruit de nos terres ;
Il rappelait le goût des goyaves trop mûres,
Et la chair en semblait passée ;
Elle laissait, après, l’âpreté dans la bouche ;
On ne la guérissait qu’en remangeant un fruit nouveau ;
À peine bientôt si seulement durait leur jouissance
L’instant d’en savourer le suc ;
Et cet instant en paraissait tant plus aimable
Que la fadeur après devenait plus nauséabonde.
La corbeille fut vite vidée…
Et le dernier nous le laissâmes
Plutôt que de le partager…

Hélas ! après, Nathanaël, qui dira de nos lèvres
Quelle fut l’amère brûlure ?
Aucune eau ne les put laver —
Le désir de ces fruits nous tourmenta jusque dans l’âme.
Trois jours, dans les marchés, nous les cherchâmes ;
La saison en était finie. —