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Car il ne suffit pas dès lors de dire, comme vous savez qu’on a fait : l’œuvre d’art, c’est un morceau de nature vu à travers un tempérament. Dans cette spécieuse formule, ni l’intelligence, ni la volonté de l’artiste n’entrent en jeu. Cette formule ne saurait donc me satisfaire.

L’œuvre d’art est œuvre volontaire. L’œuvre d’art est œuvre de raison. Car elle doit trouver en soi sa suffisance, sa fin et sa raison parfaite ; formant un tout, elle doit pouvoir s’isoler et reposer, comme hors de l’espace et du temps, dans une satisfaite et satisfaisante harmonie, Que si, peinture, elle s’arrête au cadre, ce n’est point parce que cadre il y a, mais tout au contraire il y a cadre parce qu’ici elle s’arrête. Et le cadre n’est là, soulignant cet arrêt, que pour faire cette isolation plus marquée.

Dans la nature, rien ne peut s’isoler ni s’arrêter ; tout continue. L’homme y peut essayer, proposer la beauté ; la nature aussitôt s’en rend maîtresse et en dispose. Et voici bien l’opposition que je disais : Ici, l’homme est soumis à la nature ; dans l’œuvre d’art au contraire, il soumet la nature à lui. — « L’homme propose et Dieu dispose », nous a-t-on dit ; ceci est vrai dans la nature ; — mais je vais résumer l’opposition que j’indique en disant que, dans l’œuvre d’art, au contraire : Dieu propose et l’homme dispose ; et tout prétendu producteur d’œuvres d’art qui n’est pas conscient de ceci est tout ce que l’on veut : pas un artiste.