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avec Gautier le : « ut pictura poësis » d’Horace ; mais si les littérateurs d’aujourd’hui ont compris le danger, le non-sens tout au moins, de prétendre se servir de sa plume comme d’un pinceau, les peintres n’ont pas moins bien compris de leur côté que le « ut poësis pictura » serait pour eux théorie plus funeste encore. Littérature et peinture se sont heureusement désalliées, et je ne viens pas ici pour m’en plaindre ; au contraire. Il est d’avance bien reconnu que je n’entends rien à votre métier et que vous n’entendez rien au mien. Vous cultivez votre jardin, nous le nôtre ; nous voisinons un peu parfois ; — c’est tout.

Pourtant, si vous m’avez amicalement convié à venir aujourd’hui vous parler, et si je le fais avec joie, ce n’est pas pour de simples raisons de voisinage : nous sommes plusieurs à penser qu’il n’est pas bon que les artistes d’un même pays, absorbés chacun dans leur art, méconnaissent qu’au-dessus des questions particulières à la littérature et à la peinture, il y a telles questions d’esthétique plus générale, — de celles qui, résolues, firent Poussin frère de Racine, par exemple, — et devant lesquelles nous pouvons ensemble oublier un instant, vous, Messieurs, que vous êtes peintres, moi que je suis littérateur, pour nous souvenir mieux, que nous sommes, et malgré toutes les différences de métier, les uns et l’autre des artistes.

Voilà pourquoi, si j’aborde aujourd’hui devant