Page:Gide - Les Faux-monnayeurs.djvu/96

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lui ce soir. Si vous recevez ceci, c’est donc vraiment que… adieu, adieu, je ne sais plus ce que j’écris. »

Édouard a reçu cette lettre le matin même de son départ. C’est-à-dire qu’il s’est décidé à partir aussitôt après l’avoir reçue. De toute manière, il n’avait pas l’intention de prolonger beaucoup son séjour en Angleterre. Je ne prétends point insinuer qu’il n’eût pas été capable de revenir à Paris spécialement pour secourir Laura ; je dis qu’il est heureux de revenir. Il a été terriblement sevré de plaisir, ces temps derniers, en Angleterre ; à Paris, la première chose qu’il fera, c’est d’aller dans un mauvais lieu ; et, comme il ne veut pas emporter là-bas de papiers personnels, il atteint dans le filet du compartiment sa valise, l’ouvre pour y glisser la lettre de Laura.

La place de cette lettre n’est pas entre un veston et des chemises ; il atteint, sous les vêtements, un cahier cartonné à demi rempli de son écriture ; y recherche, tout au commencement du cahier, tels feuillets, écrits l’an passé, qu’il relit, entre lesquels la lettre de Laura prendra place.

Journal d’Édouard

« 18 Octobre. — Laura ne semble pas se douter de sa puissance ; pour moi qui pénètre dans le secret de mon cœur, je sais bien que jusqu’à ce jour, je n’ai pas écrit une ligne qu’elle n’ait indirectement ins-