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partir avec lui, n’importe où, vivre avec lui, quelque temps du moins, car je ne voulais pas le gêner, ni lui être à charge ; j’aurais bien fini par trouver à gagner ma vie ; mais je ne peux pas tout de suite. Je vois bien qu’il souffre de m’abandonner et qu’il ne peut pas faire autrement, aussi je ne l’accuse pas, mais il m’abandonne tout de même. Je suis ici sans argent. Je vis à crédit, dans un petit hôtel. Mais cela ne peut pas durer. Je ne sais plus que devenir. Hélas ! des chemins si délicieux ne pouvaient mener qu’aux abîmes ? Je vous écris à cette adresse de Londres que vous m’avez donnée, mais quand cette lettre vous parviendra-t-elle ? Et moi qui souhaitais tant d’être mère ! Je ne fais que pleurer tout le jour. Conseillez-moi, je n’espère plus rien que de vous. Secourez-moi, si cela vous est possible, et sinon… Hélas, en d’autres temps j’aurais eu plus de courage, mais à présent ce n’est plus moi seule qui meurs. Si vous n’arrivez pas, si vous m’écrivez : « Je ne puis rien », je n’aurai contre vous pas un reproche. En vous disant adieu, je tâcherai de ne pas trop regretter la vie, mais je crois que vous n’avez jamais très bien compris que l’amitié que vous eûtes pour moi reste ce que j’aurai connu de meilleur — pas bien compris que ce que j’appelais mon amitié pour vous portait un autre nom dans mon cœur.

« Laura Félix Douviers.

« P.-S. Avant de jeter cette lettre à la poste, je vais le revoir une dernière fois. Je l’attendrai chez