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tation à un article un peu moins louangeur que les autres, paru précédemment dans ce journal ; Passavant y défend son livre et l’explique. Cette lettre irrite Édouard plus encore que les articles. Passavant prétend éclairer l’opinion ; c’est-à-dire qu’habilement il l’incline. Jamais aucun des livres d’Édouard n’a fait lever tant d’articles ; aussi bien Édouard n’a jamais rien fait pour s’attirer les bonnes grâces des critiques. Si ceux-ci lui battent froid, peu lui importe. Mais en lisant les articles sur le livre de son rival, il a besoin de se redire que peu lui importe. Ce n’est pas qu’il déteste Passavant. Il l’a rencontré parfois et l’a trouvé charmant. Passavant s’est du reste toujours montré pour lui des plus aimables. Mais les livres de Passavant lui déplaisent ; Passavant lui paraît moins un artiste qu’un faiseur. Assez penser à lui…

Édouard sort de la poche de son veston la lettre de Laura, cette lettre qu’il relisait sur le pont du navire ; il la relit encore :

« Mon ami,

« La dernière fois que je vous ai vu — c’était, vous en souvenez-vous, à St. James’s Park, le deux avril, la veille de mon départ pour le Midi — vous m’avez fait promettre de vous écrire si je me trouvais dans l’embarras. Je tiens ma promesse. À qui d’autre que vous en appellerais-je ? Ceux sur qui je voudrais pouvoir m’appuyer, c’est à eux surtout que je dois cacher ma détresse. Mon ami, je suis dans une grande détresse. Ce qu’a été ma vie depuis que j’ai