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Puis, comme ses cheveux mal retenus s’étaient défaits et retombaient sur ses épaules, elle se leva, s’approcha d’un miroir, et, tout en parlant, s’occupa de sa coiffure.

— Quand j’ai quitté l’Amérique, peu de temps après, il me semblait que j’étais la toison d’or et que je partais à la recherche d’un conquéreur. J’ai pu parfois me tromper ; j’ai pu commettre des erreurs… et peut-être que j’en commets une aujourd’hui en te parlant comme je fais. Mais toi, ne va pas t’imaginer, parce que je me suis donnée à toi, que tu m’as conquise. Persuade-toi de ceci : j’abomine les médiocres et je ne puis aimer qu’un vainqueur. Si tu veux de moi, que ce soit pour t’aider à vaincre. Mais si c’est pour te faire plaindre, consoler, dorloter… autant te le dire tout de suite : non, mon vieux Vincent, ce n’est pas moi qu’il te faut : c’est Laura.

Elle dit tout cela sans se retourner, tout en continuant d’arranger ses cheveux rebelles ; mais Vincent rencontra son regard dans la glace.

— Tu permettras que je ne te réponde que ce soir, dit-il en se levant et quittant ses vêtements orientaux pour reprendre ceux de la ville. A présent, il faut que je rentre vite avant que mon frère Olivier soit sorti ; j’ai quelque chose d’urgent à lui dire. Il dit cela en manière d’excuse et pour colorer son départ ; mais quand il s’approcha de Lilian, celle-ci se retourna, souriante et si belle qu’il hésita :

— À moins que je ne lui laisse un mot qu’il trouve à déjeuner, reprit-il.

— Vous vous parlez beaucoup ?