Page:Gide - Les Faux-monnayeurs.djvu/77

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gauche de Vincent, que celui-ci tenait fermée. — Ouvrez la main. Allons ! montrez ce que vous avez là.

Vincent avait cette naïveté de craindre la jalousie de Robert. Il rougit en desserrant les doigts. Une petite clef tomba sur le trottoir. Robert la ramassa tout aussitôt, la regarda ; en riant, la rendit à Vincent.

— Parbleu ! fit-il ; et il haussa les épaules. Puis, entrant dans l’auto, il se pencha en arrière, vers Vincent qui demeurait penaud :

— C’est jeudi. Dites à votre frère que je l’attends ce soir dès quatre heures — et vite il referma la portière, sans laisser à Vincent le temps de répliquer.

L’auto partit. Vincent fit quelques pas sur le quai, traversa la Seine, gagna cette partie des Tuileries qui se trouve en dehors des grilles, s’approcha d’un petit bassin et trempa dans l’eau son mouchoir qu’il appliqua sur son front et ses tempes. Puis, lentement, il revint vers la demeure de Lilian. Laissons-le, tandis que le diable amusé le regarde glisser sans bruit la petite clef dans la serrure…

C’est l’heure où, dans une triste chambre d’hôtel, Laura, sa maîtresse d’hier, après avoir longtemps pleuré, longtemps gémi, va s’endormir. Sur le pont du navire qui le ramène en France, Édouard, à la première clarté de l’aube, relit la lettre qu’il a reçue d’elle, lettre plaintive et où elle appelle au secours. Déjà la douce rive de son pays natal est en vue, mais, à travers la brume, il faut un œil exercé pour la voir. Pas un nuage au ciel, où le regard de Dieu va