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poings en sautant, dansant et criant (Lilian m’agace un peu lorsqu’elle fait ainsi l’enfant) :

— Il a perdu son pari ! Il a perdu son pari !

— Quel pari ? demanda Vincent.

— Il avait parié que vous alliez de nouveau perdre. Allons ! dites vite : gagné combien ?

— J’ai eu le courage extraordinaire, la vertu, d’arrêter à cinquante mille, et de quitter le jeu là-dessus.

Lilian poussa un rugissement de plaisir.

— Bravo ! Bravo ! Bravo ! criait-elle. Puis elle sauta au cou de Vincent, qui sentit tout le long de son corps la souplesse de ce corps brûlant à l’étrange parfum de santal, et Lilian l’embrassa sur le front, sur les joues, sur les lèvres. Vincent, en chancelant, se dégagea. Il sortit de sa poche une liasse de billets de banque.

— Tenez, reprenez votre avance, dit-il en en tendant cinq à Robert.

— C’est à Lady Lilian que vous les devez à présent.

Robert lui passa les billets, qu’elle jeta sur le divan. Elle était haletante. Elle alla jusqu’à la terrasse pour respirer. C’était l’heure douteuse où s’achève la nuit, et où le diable fait ses comptes. Dehors, on n’entendait pas un bruit. Vincent s’était assis sur le divan. Lilian se retourna vers lui, et, pour la première fois, le tutoyant :

— Et maintenant, qu’est-ce que tu vas faire ?

Il prit sa tête dans ses mains et dit dans une sorte de sanglot :

— Je ne sais plus.