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— Parbleu, mon cher, si seulement je savais dans quelle langue !… Mais entre le russe, l’anglais et le français, jamais je ne pourrai me décider. — Enfin, la nuit suivante, il est venu retrouver sa nouvelle amie dans sa chambre et là il lui a révélé tout ce que son mari n’avait pas su lui apprendre, et que je pense qu’il lui enseigna fort bien. Seulement, comme ils étaient convaincus qu’ils n’avaient plus que très peu de temps à vivre, ils n’ont pris naturellement aucune précaution, et, naturellement, peu de temps après, l’amour aidant, ils ont commencé d’aller beaucoup mieux l’un et l’autre. Quand elle s’est rendue compte qu’elle était enceinte, ils ont été tous les deux consternés. C’était le mois dernier. Il commençait à faire chaud. Pau, l’été, n’est plus tenable. Ils sont rentrés ensemble à Paris. Son mari croit qu’elle est chez ses parents qui dirigent un pensionnat près du Luxembourg ; mais elle n’a pas osé les revoir. Les parents, eux, la croient encore à Pau ; mais tout finira bientôt par se découvrir. Vincent jurait d’abord de ne pas l’abandonner ; il lui proposait de partir n’importe où avec elle, en Amérique, en Océanie. Mais il leur fallait de l’argent. C’est précisément alors qu’il a fait votre rencontre et qu’il a commencé à jouer.

— Il ne m’avait rien raconté de tout ça.

— Surtout, n’allez pas lui dire que je vous ai parlé ! Elle s’arrêta, tendit l’oreille :

— Je croyais que c’était lui… Il m’a dit que pendant le trajet de Pau à Paris, il a cru qu’elle devenait folle. Elle venait seulement de comprendre qu’elle