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terrible ! Et elle lui caressa le visage avec les plumes de son éventail refermé. — Vous doutez-vous qu’il est venu me voir tous les jours, depuis le soir où vous me l’avez amené ?

— Tous les jours ! Non, vrai, je ne m’en doutais pas.

— Le quatrième, il n’a plus pu y tenir ; il a tout raconté. Mais chaque jour ensuite, il ajoutait quelque détail.

— Et cela ne vous ennuyait pas ! Vous êtes admirable.

— Je t’ai dit que je l’aime. Et elle lui saisit le bras emphatiquement.

— Et lui… il aime cette femme ?

Lilian se mit à rire :

— Il l’aimait. — Oh ! il a fallu d’abord que j’aie l’air de m’intéresser vivement à elle. J’ai même dû pleurer avec lui. Et cependant j’étais affreusement jalouse. Maintenant, plus. Écoute comment ça a commencé : ils étaient à Pau tous les deux, dans une maison de santé, un sanatorium, où on les avait envoyés l’un et l’autre parce qu’on prétendait qu’ils étaient tuberculeux. Au fond, ils ne l’étaient vraiment ni l’un ni l’autre. Mais ils se croyaient très malades tous les deux. Ils ne se connaissaient pas encore. Ils se sont vus pour la première fois, étendus l’un à côté de l’autre sur une terrasse de jardin, chacun sur une chaise-longue, près d’autres malades qui restent étendus tout le long du jour en plein air pour se soigner. Comme ils se croyaient condamnés, ils se sont persuadés que tout ce qu’ils feraient ne