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— Il a eu le temps d’apprendre… Voulez-vous parier que ce soir il va gagner ?

— Si vous voulez.

— Oh ! mais je vous prie de ne pas accepter cela comme une pénitence. J’aime qu’on fasse volontiers ce qu’on fait.

— Ne vous fâchez pas. C’est convenu. S’il gagne c’est à vous qu’il rendra l’argent. Mais s’il perd, vous me rembourserez. Ça vous va ?

Elle pressa un bouton de sonnerie :

— Apportez-nous du tokay et trois verres. — Et s’il revient avec les cinq mille francs seulement, on les lui laissera, n’est-ce pas ? S’il ne perd ni ne gagne…

— Ça n’arrive jamais. C’est curieux comme vous vous intéressez à lui.

— C’est curieux que vous ne le trouviez pas intéressant.

— Vous le trouvez intéressant parce que vous êtes amoureuse de lui.

— Ça, c’est vrai, mon cher ! On peut vous dire ça, à vous. Mais ce n’est pas pour cela qu’il m’intéresse. Au contraire : quand quelqu’un me prend par la tête, d’ordinaire ça me refroidit.

Un serviteur reparut portant, sur un plateau, le vin et les verres.

— Nous allons boire d’abord pour le pari, puis nous reboirons avec le gagnant.

Le serviteur versa du vin et ils trinquèrent.

— Moi, je le trouve rasoir, votre Vincent, reprit Robert.