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dis pas que j’ai eu tort de vous emmener chez Pedro ; mais je me sens responsable, un peu, de l’argent que vous avez perdu. Je me dis que c’est moi qui vous l’ai fait perdre. Je ne sais pas si c’est ça qu’on appelle des remords, mais ça commence à me troubler le sommeil et les digestions, ma parole ! et puis je songe à cette pauvre femme dont vous m’avez parlé… Mais ça, c’est un autre département ; n’y touchons pas ; c’est sacré. Ce que je veux vous dire, c’est que je désire, que je veux, oui, absolument, mettre à votre disposition une somme équivalente à celle que vous avez perdue. C’était cinq mille francs, n’est-ce pas ? et que vous allez risquer de nouveau. Cette somme, encore une fois, je considère que c’est moi qui vous l’ai fait perdre ; que je vous la dois ; vous n’avez pas à m’en remercier. Vous me la rendrez si vous gagnez. Sinon, tant pis ! nous serons quittes. Retournez chez Pedro ce soir, comme si de rien n’était. L’auto va vous conduire, puis viendra me chercher ici pour me mener chez Lady Griffith ; où je vous prie de venir ensuite me retrouver. J’y compte, n’est-ce pas ? L’auto retournera vous prendre chez Pedro.

Il ouvre un tiroir, en sort cinq billets qu’il remet à Vincent :

— Allez vite.

— Mais votre père…

— Ah ! j’oubliais de vous dire : il est mort, il y a… Il tire sa montre et s’écrie : — Sapristi, qu’il est tard ! bientôt minuit… Partez vite. — Oui, il y a environ quatre heures.