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gemment, par-dessus son épaule, sans se lever.

Robert écrit. Il est assis devant un bureau couvert de livres. Devant lui, la porte-fenêtre qui donne sur le jardin est grande ouverte au clair de lune. Il parle sans se retourner.

— Savez-vous ce que je suis en train d’écrire ?… Mais vous ne le direz pas… hein ! vous me promettez… Un manifeste pour ouvrir la revue de Dhurmer. Naturellement, je ne le signe pas… d’autant plus que j’y fais mon éloge… Et puis, comme on finira bien par découvrir que c’est moi qui la commandite, cette revue, je préfère qu’on ne sache pas trop vite que j’y collabore. Ainsi : motus ! Mais j’y songe : ne m’avez-vous pas dit que votre jeune frère écrivait ? Comment donc l’appelez-vous ?

— Olivier, dit Vincent.

— Olivier, oui, j’avais oublié… Ne restez donc pas debout comme cela. Prenez ce fauteuil. Vous n’avez pas froid ? Voulez-vous que je ferme la fenêtre ?… Ce sont des vers qu’il fait, n’est-ce pas ? Il devrait bien m’en apporter. Naturellement, je ne promets pas de les prendre… mais tout de même cela m’étonnerait qu’ils fussent mauvais. Il a l’air très intelligent, votre frère. Et puis, on sent qu’il est très au courant. Je voudrais causer avec lui. Dites-lui de venir me voir. Hein ? je compte sur vous. Une cigarette ? — et il tend son étui d’argent.

— Volontiers.

— Maintenant écoutez, Vincent ; il faut que je vous parle très sérieusement. Vous avez agi comme un enfant l’autre soir… et moi aussi, du reste. Je ne