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Cette nuit-là, du reste, Vincent n’était pas allé chez Pedro. Il n’avait plus rien à y perdre. Depuis deux jours, il ne lui restait des cinq mille francs, plus un sou. Il en avait avisé Laura ; il lui avait écrit qu’il ne pouvait plus rien pour elle ; qu’il lui conseillait de retourner auprès de son mari, ou de son père ; d’avouer tout. Mais l’aveu paraissait désormais impossible à Laura, et même elle ne le pouvait envisager de sang-froid. Les objurgations de son amant ne soulevaient en elle qu’indignation et cette indignation ne la quittait que pour l’abandonner au désespoir. C’est dans cet état que l’avait retrouvée Vincent. Elle avait voulu le retenir ; il s’était arraché d’entre ses bras. Certes, il avait dû se raidir, car il était de cœur sensible ; mais, plus voluptueux qu’aimant, il s’était fait facilement, de la dureté même, un devoir. Il n’avait rien répondu à ses supplications, à ses plaintes ; et, comme Olivier qui les entendit le racontait ensuite à Bernard, elle était restée, après que Vincent eût refermé sa porte sur elle, effondrée sur les marches, à sangloter longtemps, dans le noir.

Depuis cette nuit, plus de quarante heures s’étaient écoulées. Vincent, la veille, n’était pas allé chez Robert de Passavant dont le père semblait se remettre ; mais ce soir un télégramme l’avait rappelé. Robert voulait le revoir. Quand Vincent entra dans cette pièce qui servait à Robert de cabinet de travail et de fumoir, où il se tenait le plus souvent et qu’il avait pris soin d’aménager et d’orner à sa guise, Robert lui tendit la main, négli-