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dans un salon de jeu, tomba précisément ce soir-là. Et Vincent avait accepté.

Ce tripot avait ceci de perfide, que tout s’y passait entre gens du monde, entre amis. Robert présenta son ami Vincent aux uns et aux autres. Vincent, pris au dépourvu, ne put pas jouer gros jeu ce premier soir. Il n’avait presque rien sur lui et refusa les quelques billets que proposa de lui avancer le vicomte. Mais, comme il gagnait, il regretta de n’avoir point risqué davantage et promit de revenir le lendemain.

— À présent, tout le monde ici vous connaît ; ce n’est plus la peine que je vous accompagne, lui dit Robert.

Ceci se passait chez Pierre de Brouville, qu’on appelait plus communément Pedro. À partir de ce premier soir, Robert de Passavant avait mis son auto à la disposition de son nouvel ami. Vincent s’amenait vers onze heures, causait un quart d’heure avec Robert en fumant une cigarette, puis montait au premier, et s’attardait auprès du comte plus ou moins de temps suivant l’humeur de celui-ci, sa patience et l’exigence de son état ; puis l’auto l’emmenait rue Saint-Florentin, chez Pedro, d’où elle le ramenait une heure plus tard et le reconduisait, non pas précisément chez lui, car il eût craint d’attirer l’attention, mais au plus prochain carrefour.

La nuit avant-dernière, Laura Douviers, assise sur les marches de l’escalier qui mène à l’appartement des Molinier, avait attendu Vincent jusqu’à trois heures ; c’est alors seulement qu’il était rentré.