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maintenant son ami, est l’ami de beaucoup de monde. Je ne sais trop comment Vincent et lui se sont connus. Au lycée sans doute, encore que Robert de Passavant soit sensiblement plus âgé que Vincent ; ils s’étaient perdus de vue quelques années, puis, tout dernièrement, rencontrés de nouveau, certain soir que, par extraordinaire, Olivier accompagnait son frère au théâtre ; pendant l’entr’acte Passavant leur avait à tous deux offert des glaces ; il avait appris ce soir-là que Vincent venait d’achever son externat, qu’il était indécis, ne sachant pas s’il se présenterait comme interne ; les sciences naturelles, à dire vrai, l’attiraient plus que la médecine ; mais la nécessité de gagner sa vie… Bref, Vincent avait accepté volontiers la proposition rémunératrice que lui fit peu de temps après Robert de Passavant, de venir chaque nuit soigner son vieux père, qu’une opération assez grave laissait fort ébranlé : il s’agissait de pansements à renouveler, de délicats sondages, de piqûres, enfin de je ne sais trop quoi qui exigeait des mains expertes. Mais, en plus de ceci, le vicomte avait de secrètes raisons pour se rapprocher de Vincent ; et celui-ci en avait d’autres encore pour accepter. La raison secrète de Robert, nous tâcherons de la découvrir par la suite ; quant à celle de Vincent, la voici : un grand besoin d’argent le pressait. Lorsqu’on a le cœur bien en place, et qu’une saine éducation vous a inculqué de bonne heure le sens des responsabilités, on ne fait pas un enfant à une femme sans se sentir quelque peu engagé vis-à-vis d’elle, surtout lorsque cette femme a quitté son