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vais sur la terre vient du diable ; mais c’est parce qu’autrement nous ne trouverions pas en nous la force de pardonner à Dieu. Il s’amuse avec nous, comme un chat avec la souris qu’il tourmente… Et il nous demande encore après cela de lui être reconnaissants. Reconnaissants de quoi ? de quoi ?…

« Puis, se penchant vers moi :

« — Et savez-vous ce qu’il a fait de plus horrible ?… C’est de sacrifier son propre fils pour nous sauver. Son fils ! son fils !… La cruauté, voilà le premier des attributs de Dieu.

« Il se jeta sur son lit, se tourna du côté du mur. Quelques instants encore, de spasmodiques frémissements l’agitèrent, puis, comme il semblait s’endormir, je le laissai.

« Il ne m’avait pas dit un mot de Boris ; mais je pensai qu’il fallait voir dans ce désespoir mystique une indirecte expression de sa douleur, trop étonnante pour pouvoir être contemplée fixement.

« J’apprends par Olivier que Bernard est retourné chez son père ; et, ma foi, c’est ce qu’il avait de mieux à faire. En apprenant par le petit Caloub, fortuitement rencontré, que le vieux juge n’allait pas bien, Bernard n’a plus écouté que son cœur. Nous devons nous revoir demain soir, car Profitendieu m’a invité à dîner avec Molinier, Pauline et les deux enfants. Je suis bien curieux de connaître Caloub. »


FIN