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« — Vous me disiez que vous ne croyiez pas…

« — À l’immortalité de l’âme ? Vous ai-je dit cela ?… Oui ; vous devez avoir raison. Mais je ne crois pas non plus, comprenez-moi, le contraire.

« Et comme je me taisais, il continua, hochant la tête et sur un ton sentencieux :

« — Avez-vous remarqué que, dans ce monde, Dieu se tait toujours ? Il n’y a que le diable qui parle. Ou du moins, ou du moins…, reprit-il,… quelle que soit notre attention, ce n’est jamais que le diable que nous parvenons à entendre. Nous n’avons pas d’oreilles pour écouter la voix de Dieu. La parole de Dieu ! Vous êtes-vous demandé quelquefois ce que cela peut être ?… Oh ! je ne vous parle pas de celle qu’on a coulé dans le langage humain… Vous vous souvenez du début de l’évangile : « Au commencement était la Parole ». J’ai souvent pensé que la Parole de Dieu, c’était la création tout entière. Mais le diable s’en est emparé. Son bruit couvre à présent la voix de Dieu. Oh ! dites-moi : est-ce que vous ne croyez pas que, tout de même, c’est à Dieu que restera le dernier mot ?… Et, si le temps, après la mort, n’existe plus, si nous entrons aussitôt dans l’Éternel, pensez-vous qu’alors nous pourrons entendre Dieu… directement ?

« Une sorte de transport commença de le secouer, comme s’il allait tomber de haut-mal, et tout à coup il fut pris d’une crise de sanglots :

« — Non ! Non ! s’écriait-il confusément ; le diable et le bon Dieu ne font qu’un ; ils s’entendent. Nous nous efforçons de croire que tout ce qu’il y a de mau-