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Même Olivier s’en montre touché. Armand, soucieux malgré ses airs cyniques, de la déconfiture où risquent de sombrer les siens, offre de donner à la pension le temps que veut bien lui laisser Passavant ; car le vieux La Pérouse est devenu manifestement impropre à ce qu’on attendait de lui.

« J’appréhendais de le revoir. C’est dans sa petite chambre, au deuxième étage de la pension, qu’il m’a reçu. Il m’a pris le bras aussitôt et, avec un air mystérieux, presque souriant, qui m’a beaucoup surpris, car je ne m’attendais qu’à des larmes :

« — Le bruit, vous savez… Ce bruit dont je vous parlais l’autre jour…

« — Eh bien ?

« — Il a cessé. C’est fini. Je ne l’entends plus. J’ai beau faire attention…

« Comme on se prête à un jeu d’enfant :

« — Je parie qu’à présent, lui dis-je, vous regrettez de ne plus l’entendre.

« — Oh ! non ; non… C’est un tel repos ! J’ai tellement besoin de silence… Savez-vous ce que j’ai pensé ? C’est que nous ne pouvons pas savoir, durant cette vie, ce que c’est vraiment que le silence. Notre sang même fait en nous une sorte de bruit continu ; nous ne distinguons plus ce bruit, parce que nous y sommes habitués depuis notre enfance… Mais je pense qu’il y a des choses que, pendant la vie, nous ne parvenons pas à entendre, des harmonies… parce que ce bruit les couvre. Oui, je pense que ce n’est qu’après la mort que nous pourrons entendre vraiment.