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Lorsqu’il revint ce soir chez ses parents, il se jeta dans les bras de sa mère ; et Pauline eut un élan de reconnaissance vers Dieu, qui, par ce drame affreux, ramenait à elle son fils.

Journal d’Édouard

« Sans prétendre précisément rien expliquer, je voudrais n’offrir aucun fait sans une motivation suffisante. C’est pourquoi je ne me servirai pas pour mes Faux-Monnayeurs du suicide du petit Boris ; j’ai déjà trop de mal à le comprendre. Et puis, je n’aime pas les « faits-divers ». Ils ont quelque chose de péremptoire, d’indéniable, de brutal, d’outrageusement réel… Je consens que la réalité vienne à l’appui de ma pensée, comme une preuve ; mais non point qu’elle la précède. Il me déplaît d’être surpris. Le suicide de Boris m’apparaît comme une indécence, car je ne m’y attendais pas.

« Il entre un peu de lâcheté dans tout suicide, malgré ce qu’en pense La Pérouse, qui sans doute considère que son petit-fils a été plus courageux que lui. Si cet enfant avait pu prévoir le désastre que son geste affreux amenait sur la famille Vedel, il resterait inexcusable. Azaïs a dû licencier la pension, — momentanément, dit-il ; mais Rachel craint la ruine. Quatre familles ont déjà retiré leurs enfants. Je n’ai pu dissuader Pauline de reprendre Georges auprès d’elle ; d’autant que ce petit, profondément bouleversé par la mort de son camarade, semble dispos à s’amender. Quels contre-coups ce deuil amène !