Page:Gide - Les Faux-monnayeurs.djvu/500

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de tous était toute portée sur un point, et personne ne remarqua non plus Ghéridanisol, qui put courir inaperçu jusqu’à la chambre de La Pérouse, remettre l’arme à l’endroit où il l’avait prise. Lorsque plus tard, au cours d’une perquisition, la police retrouva le pistolet dans son étui, on aurait pu douter qu’il en fut sorti et que Boris s’en fut servi, si seulement Ghéridanisol avait songé à enlever la douille de la cartouche. Certainement il avait un peu perdu la tête. Passagère défaillance, qu’il se reprocha par la suite, bien plus hélas ! qu’il ne se repentit de son crime. Et pourtant ce fut cette défaillance qui le sauva. Car, lorsqu’il redescendit se mêler aux autres, à la vue du cadavre de Boris qu’on emportait, il fut pris d’un tremblement très apparent, d’une sorte de crise de nerfs, où Madame Vedel et Rachel, toutes deux accourues, voulurent voir la marque d’une excessive émotion. On préfère tout supposer, plutôt que l’inhumanité d’un être si jeune ; et lorsque Ghéridanisol protesta de son innocence, on le crut. Le petit billet de Phiphi que lui avait passé Georges, qu’il avait envoyé promener d’une pichenette, et qu’on retrouva plus tard sous un banc, ce petit billet froissé le servit. Certes, il demeurait coupable, ainsi que Georges et que Phiphi, de s’être prêté à un jeu cruel ; mais il ne s’y serait pas prêté, affirmait-il, s’il avait cru que l’arme était chargée. Georges fut le seul à demeurer convaincu de sa responsabilité complète.

Georges n’était pas si corrompu que son admiration pour Ghéridanisol ne cédât enfin à l’horreur.