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pas ce que faisait son petit-fils, encore que l’étrange solennité de ses gestes fût de nature à l’inquiéter. De sa voix la plus forte, et qu’il tâchait de faire autoritaire, il commença :

— Monsieur Boris, je vous prie de retourner immédiatement à votre…

Mais soudain il reconnut le pistolet ; Boris venait de le porter à sa tempe. La Pérouse comprit et sentit aussitôt un grand froid, comme si le sang figeait dans ses veines. Il voulut se lever, courir à Boris, le retenir, crier… Une sorte de râle rauque sortit de ses lèvres ; il resta figé, paralytique, secoué d’un grand tremblement.

Le coup partit. Boris ne s’affaissa pas aussitôt. Un instant le corps se maintint, comme accroché dans l’encoignure ; puis la tête, retombée sur l’épaule, l’emporta ; tout s’effondra.

Lors de l’enquête que la police fit un peu plus tard, on s’étonna de ne point retrouver le pistolet près de Boris — je veux dire : près de l’endroit où il était tombé, car on avait presque aussitôt transporté sur un lit le petit cadavre. Dans le désarroi qui suivit immédiatement, et tandis que Ghéridanisol restait à sa place, Georges, bondissant par-dessus son banc, avait réussi à escamoter l’arme sans être remarqué par personne ; il l’avait d’abord repoussée en arrière, d’un coup de pied, tandis que les autres se penchaient vers Boris, s’en était prestement emparé et l’avait dissimulée sous sa veste, puis subrepticement passée à Ghéridanisol. L’attention