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entendit. Une angoisse intolérable s’empara de lui et, bien que l’étude fût sur le point de finir, feignant un urgent besoin de sortir, ou peut-être très authentiquement pris de coliques, il leva la main et claqua des doigts comme les élèves ont coutume de faire pour solliciter du maître une autorisation ; puis, sans attendre la réponse de La Pérouse, il s’élança hors du banc. Pour gagner la porte, il devait passer devant la chaire du maître ; il courait presque, mais chancelait.

Presque aussitôt après que Philippe fut sorti, Boris à son tour se dressa. Le petit Passavant, qui travaillait assidûment derrière lui, leva les yeux. Il raconta plus tard à Séraphine que Boris était « affreusement pâle » ; mais c’est ce qu’on dit toujours dans ces cas-là. Du reste, il cessa presque aussitôt de regarder et se replongea dans son travail. Il se le reprocha beaucoup par la suite. S’il avait pu comprendre ce qui se passait, il l’aurait sûrement empêché, disait-il plus tard en pleurant. Mais il ne se doutait de rien.

Boris s’avança donc jusqu’à la place marquée. Il marchait à pas lents, comme un automate, le regard fixe ; comme un somnambule plutôt. Sa main droite avait saisi le pistolet, mais le maintenait caché dans la poche de sa vareuse ; il ne le sortit qu’au dernier moment. La place fatale était, je l’ai dit, contre la porte condamnée qui formait, à droite de la chaire, un retrait, de sorte que le maître, de sa chaire, ne pouvait le voir qu’en se penchant.

La Pérouse se pencha. Et d’abord il ne comprit