Page:Gide - Les Faux-monnayeurs.djvu/497

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’en inquiéta pas outre mesure. Il faisait effort pour penser et ne pouvait penser à rien. Le pistolet pesait dans sa poche ; il n’avait pas besoin d’y porter la main pour le sentir.

— Plus que dix minutes.

Georges, à la gauche de Ghéridanisol, suivait la scène du coin de l’œil, mais faisait mine de ne pas voir. Il travaillait fébrilement. Jamais l’étude n’avait été si calme. La Pérouse ne reconnaissait plus ses moutards et pour la première fois respirait. Phiphi cependant n’était pas tranquille ; Ghéridanisol lui faisait peur ; il n’était pas bien assuré que ce jeu ne pût mal finir ; son cœur gonflé lui faisait mal et par instants il s’entendait pousser un gros soupir. À la fin, n’y tenant plus, il déchira une demi-feuille de son cahier d’histoire qu’il avait devant lui, — car il avait à préparer un examen ; mais les lignes se brouillaient devant ses yeux, les faits et les dates dans sa tête — le bas d’une feuille, et, très vite, écrivit dessus : « Tu es bien sûr au moins que le pistolet n’est pas chargé ? », puis tendit le billet à Georges, qui le passa à Ghéri. Mais celui-ci, après l’avoir lu, haussa les épaules sans même regarder Phiphi, puis du billet fit une boulette qu’une pichenette envoya rouler juste à l’endroit marqué par la craie. Après quoi, satisfait d’avoir si bien visé, il sourit. Ce sourire, d’abord volontaire, persista jusqu’à la fin de la scène ; on l’eût dit imprimé sur ses traits.

— Encore cinq minutes.

C’était dit à voix presque haute. Même Philippe