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— Parbleu !

— Mais tu sais à quoi ça engage ?

Boris ne savait pas, mais il voulait savoir. Alors l’autre lui expliqua. « L’homme fort ne tenait pas à la vie ». C’était à voir.

Boris sentit un grand chavirement dans sa tête ; mais il se raidit et, cachant son trouble :

— C’est vrai que vous avez signé ?

— Tiens, regarde. Et Georges lui tendit la feuille sur laquelle Boris put lire les trois noms.

— Est-ce que… commença-t-il craintivement.

— Est-ce que quoi ?… interrompit Georges, si brutalement que Boris n’osa continuer. Ce qu’il aurait voulu demander, Georges le comprenait bien : c’était si les autres s’étaient engagés tout de même, et si l’on pouvait être sûr qu’eux non plus ne flancheraient pas.

— Non, rien, dit-il ; mais dès cet instant, il commença de douter des autres ; il commença de se douter que les autres se réservaient et n’y allaient pas de franc jeu. — Tant pis, pensa-t-il aussitôt ; qu’importe s’ils flanchent ; je leur montrerai que j’ai plus de cœur qu’eux. Puis, regardant Georges droit dans les yeux :

— Dis à Ghéri qu’on peut compter sur moi.

— Alors, tu signes ?

Oh ! ce n’était plus nécessaire : on avait sa parole. Il dit simplement :

— Si tu veux. Et au-dessous de la signature des trois Hommes Forts, sur la feuille maudite, il inscrivit son nom, d’une grande écriture appliquée.