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tout jamais rejeté de la confrérie ». Ghéridanisol, qui s’était mis en tête d’y faire entrer Boris, insista beaucoup sur ce point.

Il fallait reconnaître que, sans Boris, le jeu restait morne et la vertu de la confrérie sans emploi. Pour circonvenir l’enfant, Georges était mieux qualifié que Ghéridanisol ; celui-ci risquait d’éveiller sa méfiance ; quant à Phiphi, il n’était pas assez retors et préférait ne point se commettre.

Et c’est peut-être là, dans cette abominable histoire, ce qui me paraît le plus monstrueux : cette comédie d’amitié que Georges consentit à jouer. Il affecta de s’éprendre pour Boris d’une affection subite ; jusqu’alors on eût dit qu’il ne l’avait pas regardé. Et j’en viens à douter s’il ne fut pas pris lui-même à son jeu, si les sentiments qu’il feignit n’étaient pas près de devenir sincères, si même ils ne l’étaient pas devenus dès l’instant que Boris y avait répondu. Il se penchait vers lui avec l’apparence de la tendresse ; instruit par Ghéridanisol, il lui parlait… Et dès les premiers mots, Boris, qui brâmait après un peu d’estime et d’amour, fut conquis.

Alors Ghéridanisol élabora son plan, qu’il découvrit à Phiphi et à Georges. Il s’agissait d’inventer une « épreuve » à laquelle serait tenu de se soumettre celui des affiliés qui serait désigné par le sort ; et, pour bien rassurer Phiphi, il fit entendre qu’on s’arrangerait de manière que le sort ne pût désigner que Boris. L’épreuve aurait pour but de s’assurer de son courage.