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relle ; et puis il n’aurait pas compris. Sais-tu ce qu’il a demandé, l’autre jour, à papa ?… Pourquoi les…

Cette fois Georges n’y tient plus ; il se dresse à demi sur son lit et coupant la parole à son frère :

— Imbécile, crie-t-il ; tu n’as donc pas vu que je faisais exprès ?… Parbleu oui, j’ai entendu tout ce que vous avez dit tout à l’heure ; oh ! c’est pas la peine de vous frapper. Pour Vincent je savais ça déjà depuis longtemps. Seulement, mes petits, tâchez maintenant de parler plus bas, parce que j’ai sommeil. Ou taisez-vous.

Olivier se tourne du côté du mur. Bernard, qui ne dort pas, contemple la pièce. Le clair de lune la fait paraître plus grande. Au fait, il la connaît à peine. Olivier ne s’y tient jamais dans la journée ; les rares fois qu’il a reçu Bernard, ç’a été dans l’appartement du dessus. Le clair de lune touche à présent le pied du lit où Georges enfin s’est endormi ; il a presque tout entendu de ce qu’a raconté son frère ; il a de quoi rêver. Au-dessus du lit de Georges, on distingue une petite bibliothèque à deux rayons, où sont des livres de classe. Sur une table, près du lit d’Olivier, Bernard aperçoit un livre de plus grand format ; il étend le bras, le saisit pour regarder le titre : — Tocqueville ; mais quand il veut le reposer sur la table, le livre tombe et le bruit réveille Olivier.

— Tu lis du Tocqueville, à présent ?

— C’est Dubac qui m’a prêté ça.

— Ça te plaît ?

— C’est un peu rasoir. Mais il y a des choses très bien.