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entreprise, Ghéridanisol songea beaucoup moins à la chose même qu’aux moyens de la faire réussir ; ceci n’a l’air de rien, mais peut expliquer bien des crimes. Au demeurant, Ghéridanisol était féroce ; mais il sentait le besoin, aux yeux de Phiphi tout au moins, de cacher cette férocité. Phiphi n’avait rien de cruel ; il resta convaincu jusqu’au dernier moment qu’il ne s’agissait là que d’un jeu.

À toute confrérie il faut une devise. Ghéridanisol, qui avait son idée, proposa : « L’homme fort ne tient pas à la vie. » La devise fut adoptée, et attribuée à Cicéron. Comme signe distinctif, Georges proposa un tatouage au bras droit ; mais Phiphi, qui craignait la douleur, affirma qu’on ne trouvait de bon tatoueur que dans les ports. De plus, Ghéridanisol objecta que le tatouage laissait une trace indélébile qui, par la suite, pourrait les gêner. Après tout, le signe distinctif n’était pas des plus nécessaires ; les affiliés se contenteraient de prononcer un engagement solennel.

Quand il s’était agi du trafic de fausse monnaie, il avait été question de gages, et c’est à ce propos que Georges avait exhibé les lettres de son père. Mais on avait cessé d’y penser. Ces enfants, fort heureusement, n’ont pas beaucoup de constance. Somme toute, ils n’arrêtèrent presque rien, non plus au sujet des « conditions d’admission » que des « qualités requises ». À quoi bon, puisqu’il restait acquis que tous trois « en étaient », et que Boris « n’en était pas ». Par contre, ils décrétèrent que « celui qui canerait serait considéré comme un traître, à