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trouble. Boris prit le talisman et le glissa dans sa vareuse. Tout le reste du jour, le souvenir des pratiques de sa « magie » l’obséda. Il lutta jusqu’au soir contre une sollicitation ténébreuse, puis, comme rien plus ne le soutenait dans sa lutte, sitôt retiré dans sa chambre, il sombra.

Il lui semblait qu’il se perdait, qu’il s’enfonçait très loin du ciel ; mais il prenait plaisir à se perdre et faisait, de cette perdition même, sa volupté.

Et pourtant il gardait en lui, en dépit de sa détresse, au fond de sa déréliction, de telles réserves de tendresse, une souffrance si vive du dédain qu’affectaient à son égard ses camarades, qu’il eût risqué n’importe quoi de dangereux, d’absurde, pour un peu de considération.

L’occasion s’en offrit bientôt.

Après qu’ils eurent dû renoncer à leur trafic de fausses pièces, Ghéridanisol, Georges et Phiphi ne restèrent pas longtemps désœuvrés. Les menus jeux saugrenus auxquels ils se livrèrent les premiers jours n’étaient que des intermèdes. L’imagination de Ghéridanisol fournit bientôt quelque chose de plus corsé.

La confrérie des Hommes Forts n’eut pour raison d’être d’abord que le plaisir de n’y point admettre Boris. Mais il apparut à Ghéridanisol bientôt qu’il serait au contraire bien plus pervers de l’y admettre ; ce serait le moyen de l’amener à prendre tels engagements par lesquels on pourrait l’entraîner ensuite jusqu’à quelque acte monstrueux. Dès lors cette idée l’habita ; et comme il advient souvent dans une