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de mon côté… L’autre jour, il nous faisait tous rigoler parce qu’il croyait qu’ « une femme à poil », ça voulait dire « une femme à barbe ». Georges s’est fichu de lui. Et quand Boris a compris qu’il se trompait, j’ai cru qu’il allait se mettre à larmer.

Puis Ghéridanisol pressa de questions son cousin ; celui-ci finit par lui remettre le talisman de Boris, et la manière de s’en servir.

Peu de jours après, Boris, en entrant à l’étude, trouva sur son pupitre ce papier dont il ne se souvenait plus qu’à peine. Il l’avait écarté de sa mémoire avec tout ce qui ressortissait à cette « magie » de sa première enfance, dont il avait honte aujourd’hui. Il ne le reconnut pas tout d’abord, car Ghéridanisol avait eu soin d’encadrer la formule incantatoire :

« Gaz… Téléphone… Cent mille roubles. »


d’une large bordure rouge et noire, laquelle était ornée de petits diablotins obscènes, assez bien dessinés, ma foi. Tout cela donnait au papier un aspect fantastique, « infernal » pensait Ghéridanisol, aspect qu’il jugeait susceptible de bouleverser Boris.

Peut-être n’y avait-il là qu’un jeu ; mais le jeu réussit au-delà de toute espérance. Boris rougit beaucoup, ne dit rien, regarda de droite et de gauche, et ne vit pas Ghéridanisol qui, caché derrière la porte, l’observait. Boris ne put le soupçonner, ni comprendre comment le talisman se trouvait là ; il paraissait tombé du ciel, ou plutôt surgi de l’enfer. Boris était d’âge, sans doute, à hausser les épaules devant ces diableries d’écolier ; mais elles remuaient un passé