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derait pas mieux que de s’attacher à Boris ; mais il se laisse mener par Ghéridanisol jusqu’à n’oser plus éprouver un seul sentiment personnel ; il emboîte le pas, qu’aussitôt Ghéridanisol accélère ; et Ghéridanisol ne peut souffrir Boris. Sa voix musicale, sa grâce, son air de fille, tout en lui l’irrite, l’exaspère. On dirait qu’il éprouve à sa vue l’instinctive aversion qui, dans un troupeau, précipite le fort sur le faible. Peut-être a-t-il écouté l’enseignement de son cousin, et sa haine est-elle un peu théorique, car elle prend à ses yeux l’aspect de la réprobation. Il trouve des raisons pour se féliciter de haïr. Il a fort bien compris combien Boris est sensible à ce mépris qu’il lui témoigne ; il s’en amuse et feint de comploter avec Georges et Phiphi, à seule fin de voir les regards de Boris se charger d’une sorte d’interrogation anxieuse.

— Oh ! ce qu’il est curieux, tout de même, dit alors Georges. Faut-il lui dire ?

— Pas la peine. Il ne comprendrait pas.

« Il ne comprendrait pas. » « Il n’oserait pas. » « Il ne saurait pas. » Sans cesse on lui jette au front ces formules. Il souffre abominablement d’être exclus. Il ne comprend pas bien, en effet, l’humiliant sobriquet qu’on lui donne : « N’en a pas » ; ou s’indigne de le comprendre. Que ne donnerait-il pour pouvoir prouver qu’il n’est pas le pleutre qu’on croit !

— Je ne puis supporter Boris, dit Ghéridanisol à Strouvilhou. Pourquoi me demandais-tu de le laisser tranquille ? Il n’y tient pas tant que ça, à ce qu’on le laisse tranquille. Il est toujours à regarder