Page:Gide - Les Faux-monnayeurs.djvu/485

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas et souffrait de la voir étaler sa tristesse. Il repliait la sienne et la cachait comme un trésor.

Certainement c’était à lui que Bronja pensait lorsqu’elle demandait, peu de jours avant de mourir :

— Maman, je voudrais tant savoir… Dis : qu’est-ce qu’on appelle au juste une idylle ?

Ces paroles qui perçaient le cœur, Boris eût voulu être seul à les connaître.

Madame Vedel offrit le thé. Il y en avait une tasse pour Boris, qu’il avala précipitamment tandis que la récréation finissait ; puis il prit congé de Sophroniska qui repartait le lendemain pour la Pologne, où des affaires la rappelaient.

Le monde entier lui paraissait désert. Sa mère était trop loin de lui, toujours absente ; son grand-père, trop vieux ; même Bernard n’était plus là, près duquel il prenait confiance… Une âme tendre comme la sienne a besoin de quelqu’un vers qui porter en offrande sa noblesse et sa pureté. Il n’avait pas assez d’orgueil pour s’y complaire. Il avait aimé Bronja beaucoup trop pour pouvoir espérer retrouver jamais cette raison d’aimer qu’il perdait avec elle. Les anges qu’il souhaitait de voir, désormais, sans elle, comment y croire ? Même son ciel à présent se vidait.

Boris rentra dans l’étude comme on plongerait en enfer. Sans doute aurait-il pu se faire un ami de Gontran de Passavant ; c’est un brave garçon et tous deux sont précisément du même âge ; mais rien ne distrait Gontran de son travail. Philippe Adamanti non plus n’est pas méchant ; il ne deman-