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— Un commerce de quoi ?

— Est-ce qu’on sait ? De caoutchouc, d’ivoire, de nègres peut-être… – d’un tas de bricoles… Il me demande de le rejoindre là-bas.

— Tu partirais ?

— Et dès demain, si je n’avais pas bientôt mon service. Alexandre est une espèce d’idiot dans mon genre. Je crois que je m’entendrais très bien avec lui… Tiens, veux-tu voir ? J’ai sa lettre sur moi.

Il sortit de sa poche une enveloppe, et de l’enveloppe plusieurs feuillets ; en choisit un, qu’il tendit à Olivier.

— Pas la peine que tu lises tout. Commence ici.

Olivier lut :

« Je vis depuis une quinzaine de jours en compagnie d’un singulier individu que j’ai recueilli dans ma case. Le soleil de ce pays a dû lui taper sur le crâne. J’ai d’abord pris pour du délire ce qui est bel et bien de la folie. Cet étrange garçon – un type de trente ans environ, grand et fort, assez beau et certainement « de bonne famille », comme on dit, à en juger d’après ses manières, son langage et ses mains trop fines pour avoir jamais fait de gros ouvrages – se croit possédé par le diable ; ou plutôt il se croit le diable lui-même, si j’ai bien compris ce qu’il disait. Il a dû lui arriver quelque aventure, car, en rêve ou dans l’état de demi-sommeil où il lui arrive souvent de tomber (et alors il converse avec lui-même comme si je n’étais pas là), il parle sans cesse de mains coupées. Et comme alors il s’agite