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— Eh bien ! mon vieux, si tu es inquiet, il te faut consulter.

— Si tu crois que j’ai attendu ton conseil !

— Qu’a dit le médecin ?

— Je n’ai pas attendu ton conseil pour me dire que je devrais consulter.

Mais je n’ai tout de même pas consulté, parce que, si ça doit être ce que je crois, je préfère ne pas le savoir.

— C’est idiot.

— N’est-ce pas que c’est bête ! et si humain, mon cher, si humain…

— Ce qui est idiot, c’est de ne pas se soigner.

— Et de pouvoir se dire, quand on commence à se soigner : « il est trop tard ! » C’est ce que Cob-Lafleur exprime si bien, dans un des poèmes que tu liras :

Il faut se rendre à l’évidence ;
Car, dans ce bas monde, la danse
Précède souvent la chanson.

— On peut faire de la littérature avec tout.

— Tu l’as dit : avec tout. Mais, mon vieux, ça n’est déjà pas si facile. Allons, adieu… Ah ! je voulais te dire encore : j’ai reçu des nouvelles d’Alexandre … Mais oui, tu sais bien : mon frère aîné, qui a fichu le camp en Afrique, où il a commencé par faire de mauvaises affaires et bouffer tout l’argent que lui envoyait Rachel. Il est établi maintenant sur les bords de la Casamance. Il m’écrit que son commerce prospère et qu’il va bientôt être à même de tout rembourser.