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ai tout raconté… Et l’oculiste qui lui recommande de ne pas pleurer ! C’est bouffon.

— Dois-je te croire sincère, à présent ?

— Oui, je crois que c’est ce que j’ai de plus sincère en moi : l’horreur, la haine de tout ce qu’on appelle Vertu. Ne cherche pas à comprendre. Tu ne sais pas ce que peut faire de nous une première éducation puritaine. Elle vous laisse au cœur un ressentiment dont on ne peut plus jamais se guérir… si j’en juge par moi, acheva-t-il en ricanant. À propos, tu devrais bien me dire ce que j’ai là.

Il posa son chapeau et s’approcha de la fenêtre.

— Tiens, regarde : sur le bord de la lèvre ; à l’intérieur.

Il se pencha vers Olivier et d’un doigt souleva sa lèvre.

— Je ne vois rien.

— Mais si ; là ; dans le coin.

Olivier distingua, près de la commissure, une tache blanchâtre. Un peu inquiet :

— C’est une aphte, dit-il pour rassurer Armand.

Celui-ci haussa les épaules.

— Ne dis donc pas de bêtises, toi, un homme sérieux. D’abord « aphte » est du masculin ; et puis, un aphte, c’est mou et ça passe. Ça, c’est dur et de semaine en semaine ça grossit. Et ça me donne une espèce de mauvais goût dans la bouche.

— Il y a longtemps que tu as ça ?

— Il y a plus d’un mois que je m’en suis aperçu. Mais, comme on dit dans les « chefs-d’œuvre » : Mon mal vient de plus loin…