Page:Gide - Les Faux-monnayeurs.djvu/477

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

professeur de conviction. Il inculque la foi ; c’est là sa raison d’être ; c’est le rôle qu’il assume, et qu’il doit mener jusqu’au bout. Mais quant à savoir ce qui se passe dans ce qu’il appelle « son for intérieur » ?… Ce serait indiscret, tu comprends, d’aller le lui demander. Et je crois qu’il ne se le demande jamais lui-même. Il s’y prend de manière à n’avoir jamais le temps de se le demander. Il a bourré sa vie d’un tas d’obligations qui perdraient toute signification si sa conviction faiblissait ; de sorte que cette conviction se trouve exigée et entretenue par elles. Il s’imagine qu’il croit, parce qu’il continue à agir comme s’il croyait. Il n’est plus libre de ne pas croire. Si sa foi flanchait, mon vieux, mais ce serait la catastrophe ! Un effondrement ! Et songe que, du coup, ma famille n’aurait plus de quoi vivre. C’est un fait à considérer, mon vieux : la foi de papa, c’est notre gagne-pain. Nous vivons tous sur la foi de papa. Alors venir me demander si papa a vraiment la foi, tu m’avoueras que ça n’est pas très délicat de ta part.

— Je croyais que vous viviez surtout du revenu de la pension.

— C’est un peu vrai. Mais ça n’est pas non plus très délicat de me couper mon effet lyrique.

— Alors toi, tu ne crois plus à rien ? demanda Olivier tristement, car il aimait Armand et souffrait de sa vilenie.

— « Jubes renovare dolorem… » Tu sembles oublier, mon cher, que mes parents prétendaient faire de moi un pasteur.

On m’a chauffé pour ça, gavé