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numéro, nous allons donner une reproduction de la Joconde, à laquelle on a collé une paire de moustaches. Tu verras, mon vieux : c’est d’un effet foudroyant.

— Cela veut-il dire que tu considères la Joconde comme une stupidité ?

— Mais pas du tout, mon cher. (Encore que je ne la trouve pas si épatante que ça.) Tu ne me comprends pas. Ce qui est stupide, c’est l’admiration qu’on lui voue. C’est l’habitude qu’on a de ne parler de ce qu’on appelle « les chefs-d’œuvre », que chapeau bas. « Le fer à repasser » (ce sera d’ailleurs le titre général de la revue) a pour but de rendre bouffon cette révérence, de discréditer… Un bon moyen encore, c’est de proposer à l’admiration du lecteur quelque œuvre stupide (mon « Vase nocturne », par exemple) d’un auteur complètement dénué de bon sens.

— Passavant approuve tout ça ?

— Ça l’amuse beaucoup.

— Je vois que j’ai bien fait de me retirer.

— Se retirer… Tôt ou tard, mon vieux, et qu’on le veuille ou non, il faut toujours en arriver là. Cette sage réflexion m’amène tout naturellement à prendre congé de toi.

— Reste encore un instant, espèce de pitre… Qu’est-ce qui te faisait dire que ton père jouait au pasteur ? Tu ne le crois donc pas convaincu ?

— Monsieur mon père a arrangé sa vie de telle façon qu’il n’ait plus le droit ni le moyen de ne pas l’être. Oui, c’est un convaincu professionnel. Un