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viens à ne même plus comprendre ce que peut vouloir dire ce mot. Rien à faire à cela : si je suis triste, je me trouve grotesque et ça me fait rire ; quand je suis gai, je fais des plaisanteries tellement stupides que ça me donne envie de pleurer.

— À moi aussi, tu donnes envie de pleurer, mon pauvre vieux. Je ne te croyais pas si malade.

Armand haussa les épaules, et sur un ton tout différent :

— Pour te consoler, veux-tu savoir la composition de notre premier numéro ? Il y aura donc mon Vase nocturne ; quatre chansons de Cob-Lafleur ; un dialogue de Jarry ; des poèmes en prose du petit Ghéridanisol, notre pensionnaire ; et puis Le fer à repasser, un vaste essai de critique générale, où se préciseront les tendances de la revue. Nous nous sommes mis à plusieurs pour pondre ce chef-d’œuvre.

Olivier, qui ne savait que dire, argua gauchement :

— Aucun chef-d’œuvre n’est le résultat d’une collaboration.

Armand éclata de rire :

— Mais, mon cher, je disais chef-d’œuvre pour plaisanter. Il n’est même pas question d’une œuvre, à proprement parler. Et d’abord, il s’agirait de savoir ce qu’on entend par « chef-d’œuvre ». Précisément Le fer à repasser s’occupe de tirer ça au clair. Il y a des tas d’œuvres qu’on admire de confiance parce que tout le monde les admire, et que personne jusqu’à présent ne s’est avisé de dire, ou n’a osé dire, qu’elles sont stupides. Par exemple, en tête du