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— Quelle mémoire !

Olivier se montrait bien décidé à tenir tête.

— Je tâche, dit-il, d’oublier tes plaisanteries. Mais, la dernière fois, tu m’as enfin parlé sérieusement. Tu m’as dit des choses que je ne peux pas oublier.

Le regard d’Armand se troubla ; il partit d’un rire forcé :

— Oh ! mon vieux, la dernière fois, je t’ai parlé comme tu désirais que je te parle. Tu réclamais un morceau en mineur ; alors, pour te faire plaisir, j’ai joué ma complainte avec une âme en tire-bouchon, et des tourments à la Pascal… Qu’est-ce que tu veux ? Je ne suis sincère que quand je blague.

— Tu ne me feras jamais croire que tu n’étais pas sincère en me parlant comme tu as fait. C’est maintenant que tu joues.

— Ô être plein de naïveté, de quelle âme angélique tu fais preuve ! Comme si chacun de nous ne jouait pas, plus ou moins sincèrement et consciemment. La vie, mon vieux, n’est qu’une comédie. Mais la différence entre toi et moi, c’est que moi je sais que je joue ; tandis que…

— Tandis que… répéta Olivier agressivement.

— Tandis que mon père, par exemple, et pour ne pas parler de toi, coupe dedans quand il joue au pasteur. Quoi que je dise ou fasse, toujours une partie de moi reste en arrière, qui regarde l’autre se compromettre, qui l’observe, qui se fiche d’elle et la siffle, ou qui l’applaudit. Quand on est ainsi divisé, comment veux-tu qu’on soit sincère ? J’en