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— Et il l’a fichu à la porte ?

— Puis a surveillé par la fenêtre si Lafleur ne fourrait pas une bombe dans sa cave, en s’en allant.

— Mais pourquoi est-ce que ton Lafleur a fait cela ? demanda Olivier après un silence. D’après ce que tu me dis, il avait grand besoin de cette place.

— Il faut tout de même admettre, mon vieux, qu’il y a des gens qui éprouvent le besoin d’agir contre leur propre intérêt. Et puis, veux-tu que je te dise : Lafleur… le luxe de Passavant l’a dégoûté ; son élégance, ses manières aimables, sa condescendance, l’affectation de sa supériorité. Oui, ça lui a levé le cœur. Et j’ajoute que je comprends ça… Au fond, il est à faire vomir, ton Passavant.

— Pourquoi dis-tu : « ton Passavant » ? Tu sais bien que je ne le vois plus. Et puis, pourquoi acceptes-tu de lui cette place, si tu le trouves si dégoûtant ?

— Parce que précisément j’aime ce qui me dégoûte… à commencer par mon propre, ou mon sale individu. Et puis, au fond, Cob-Lafleur est un timide ; il n’aurait rien dit de tout cela s’il ne s’était pas senti gêné.

— Oh ! ça, par exemple…

— Certainement. Il était gêné, et avait horreur de se sentir gêné par quelqu’un qu’au fond il méprise. C’est pour cacher sa gêne qu’il a crâné.

— Je trouve ça stupide.

— Mon vieux, tout le monde n’est pas aussi intelligent que toi.

— Tu m’as déjà dit ça la dernière fois.