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l’hôtel de la rue de Babylone. Il faut te dire que Cob-Lafleur porte des vêtements couverts de taches, qu’il laisse flotter une gerbe de cheveux filasse sur ses épaules et qu’il a l’air de ne pas s’être lavé de huit jours. Passavant, qui prétend toujours dominer la situation, affirme que Cob-Lafleur lui plaisait beaucoup. Cob-Lafleur avait su se montrer doux, souriant, timide. Quand il veut, il peut ressembler au Gringoire de Banville. Bref, Passavant se montrait séduit et était sur le point de l’engager. Il faut te dire que Lafleur est sans le sou… Le voici qui se lève pour prendre congé : « — Avant de vous quitter, je crois bon de vous avertir, Monsieur le comte, que j’ai quelques défauts. – Qui de nous n’en a pas ? – Et quelques vices. Je fume l’opium. – Qu’à cela ne tienne, dit Passavant qui ne se trouble pas pour si peu ; j’en ai d’excellent à vous offrir. – Oui, mais quand j’ai fumé, reprend Lafleur, je perds complètement la notion de l’orthographe. Passavant croit à une plaisanterie, s’efforce de rire et lui tend la main. Lafleur continue : « — Et puis je prends du haschisch. – J’en ai pris moi-même quelquefois, dit Passavant. – Oui, mais sous l’empire du haschisch, je ne peux pas me retenir de voler. Passavant commence à voir que l’autre se fiche de lui ; et Lafleur, lancé, continue impétueusement : – Et puis je bois de l’éther ; et alors je déchire tout, je casse tout ; et il s’empare d’un vase de cristal qu’il fait mine de jeter dans la cheminée. Passavant le lui arrache des mains : – Je vous remercie de m’avertir.