Page:Gide - Les Faux-monnayeurs.djvu/471

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

poème parût en tête du premier numéro ; ce à quoi s’opposait ma modestie naturelle, que ses éloges ont mise à une rude épreuve. Si j’étais sûr de ne point fatiguer tes oreilles convalescentes, je te ferais le récit de ma première entrevue avec l’illustre auteur de La Barre Fixe, que je ne connaissais jusqu’à ce jour qu’à travers toi.

— Je n’ai rien de mieux à faire que de t’écouter.

— La fumée ne te gêne pas ?

— Je fumerai moi-même pour te rassurer.

— Il faut te dire, commença Armand en allumant une cigarette, que ta défection avait laissé notre cher comte dans l’embarras. Soit dit sans te flatter, on ne remplace pas aisément ce faisceau de dons, de vertus, de qualités, qui font de toi l’un des…

— Bref… interrompit Olivier, que la pesante ironie de l’autre exaspérait.

— Bref, Passavant avait besoin d’un secrétaire. Il se trouvait connaître un certain Strouvilhou, que je me trouve connaître moi-même, parce qu’il est l’oncle et le correspondant d’un certain type de la pension, lequel se trouvait connaître Jean Cob-Lafleur, que tu connais.

— Que je ne connais pas, dit Olivier.

— Eh bien ! mon vieux, tu devrais le connaître. C’est un type extraordinaire, merveilleux ; une espèce de bébé fané, ridé, maquillé, qui vit d’apéritifs et qui, quand il est saoûl, fait des vers charmants. Tu en liras dans notre premier numéro. Strouvilhou invente donc de l’envoyer chez Passavant pour occuper ta place. Tu peux imaginer son entrée dans