Page:Gide - Les Faux-monnayeurs.djvu/47

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Sa chambre est à côté, à gauche du vestibule, tandis que le reste de l’appartement est à droite. Il peut sortir et rentrer quand il veut, sans qu’on le sache. D’ordinaire je ne l’entends pas rentrer, mais avant-hier, lundi soir, je ne sais ce que j’avais ; je songeais au projet de revue de Dhurmer… Je ne pouvais pas m’endormir. J’ai entendu des voix dans l’escalier ; j’ai pensé que c’était Vincent.

— Il était quelle heure ? demande Bernard, non tant par désir de le savoir, que pour marquer son intérêt.

— Trois heures du matin, je pense. Je me suis levé et j’ai mis mon oreille contre la porte. Vincent causait avec une femme. Ou plutôt c’était elle seule qui parlait.

— Alors comment savais-tu que c’était lui ? Tous les locataires passent devant ta porte.

— C’est même rudement gênant quelquefois : plus il est tard, plus ils font de chahut en montant ; ce qu’ils se fichent des gens qui dorment !… Ça ne pouvait être que lui ; j’entendais la femme répéter son nom. Elle lui disait… oh ! ça me dégoûte de redire ça…

— Va donc.

— Elle lui disait : « Vincent, mon amant, mon amour, ah ! ne me quittez pas ! »

— Elle lui disait vous ?

— Oui. N’est-ce pas que c’est curieux ?

— Raconte encore.

— « Vous n’avez plus le droit de m’abandonner à présent. Que voulez-vous que je devienne ? Où