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qu’il n’a pas encore compris ce qu’il peut obtenir de lui-même. Sa curiosité s’est jusqu’à présent dévoyée ; ou plutôt, elle est demeurée à l’état embryonnaire, au stade de l’indiscrétion.

« — Lui parlerez-vous ?

« — Je me propose de lui faire mettre en balance le peu de profit de ses vols et ce que, par contre, sa malhonnêteté lui fait perdre : la confiance de ses proches, leur estime, la mienne entre autres…, toutes choses qui ne se chiffrent pas et dont on ne peut apprécier la valeur que par l’énormité de l’effort, ensuite, pour les regagner. Certains y ont usé toute leur vie. Je lui dirai, ce dont il est trop jeune encore pour se rendre compte : que c’est toujours sur lui désormais que se porteront les soupçons, s’il advient près de lui quoi que ce soit de douteux, de louche. Il se verra peut-être accusé de faits graves, à tort, et ne pourra pas se défendre. Ce qu’il a déjà fait le désigne. Il est ce que l’on appelle : « brûlé ». Enfin, ce que je voudrais lui dire… Mais je crains ses protestations.

« — Ce que vous voudriez lui dire ?…

« — C’est que ce qu’il a fait crée un précédent, et que s’il faut quelque résolution pour un premier vol, il n’y a plus, pour les suivants, qu’à céder à l’entraînement. Tout ce qui vient ensuite n’est plus que du laisser-aller… Ce que je voudrais lui dire, c’est que, souvent, un premier geste, que l’on fait sans presque y songer, dessine irrémédiablement notre figure et commence à tracer un trait que, par la suite, tous nos efforts ne pourront jamais effacer. Je voudrais… mais je ne saurai pas lui parler.